1.8.04

Mon Algérie...

Mon Algérie tient dans deux villes : Alger et Béjaia (Bougie) .
Alger est la ville de ma grand mère maternelle et d'une de mes tantes .
Béjaia regroupe tout le reste de ma famille .

Depuis que Papa Sidi, mon aventurier de grand père maternel, est mort, je n'aime plus trop retourner à Alger, la solitude de la terrasse est tuante, autant fuir vers Béjaia .
Et comme ma génération ne vit que par l'image, j'ai dans mes cartons, les vidéos tournées sur place à la fin des années 80. Le numérique est un palliatif illusoire mais précieux.

Alger la blanche, tu me manques encore .
Tes allées bruyantes sont assommées par le soleil et la chaleur étourdissante balayant la rue Didouche Mourad amène une langueur indéfinissable.
L'atmosphère est si lourde qu'un simple clignement de tes yeux provoquerait un orage .
Le carrelage de la terrasse chauffé par le soleil brûlerait sans doute le pied du flâneur indécis .

Dans ma tête le temps s'est arrêté à Alger .
J'entends encore ces mitraillettes les dernièrs jours d'aout hurler le son de la mort et "Yema" me tirer par le bras "éloigne toi du bord du balcon".

La terrasse, mon terrain de jeu favori est devenu une barrière grillagée pour défendre ma grand mère de la violence accumulée ces dernières années .

Je suis retourné en Algérie en septembre 2003, je ne sais pas vraiment pourquoi, mais j'avais une immense envie de me rendre à Bougie en dehors des vacances.
Surement pour y cueillir la "vraie vie" , pour me débarrasser de l'hypocrisie des vacances.
Pendant les vacances tout le monde est disponible, physiquement et mentalement, à la rentrée c'est une autre histoire.
Ne vous voient que ceux qui le souhaitent.
Ainsi j'avais écrémé presqu'automatiquement les "pas le temps" ou les 'inintéressantes retrouvailles.
Béjaia fin 2003 c'est comme Paris fin 2003, une ruche 24h sur 24.
Trop de gens partout, pas de place sur les trottoirs, tout le monde marche n'importe où, les voitures roulent dans tous les sens, les rares policiers qui règulent la circulation y perdent leur arabe littéraire .
A Béjaia, on roule avec ou sans permis, avec ou sans ceinture, on peut même toiser les policiers et les gendarmes parce qu'en Kabylie les "aarchs" ont laissé des souvenirs.
La mitraillette à la main, les fonctionnaires postés aux différents péages et barrages routiers rappellent tout de même aux imprudents que l'Algérie connait encore des heures sombres .
Papa est du voyage, il veut me faire visiter la nouvelle ville .
Où qu'on aille, le bitume et le ciment remplacent peu à peu la verdure ou la boue.
Des immeubles sortent de terre tous les mois, défigurant d'un coté et redéfinissant le plan de la ville de l'autre.
Béjaia vue du ciel c'est une pieuvre sortie de l'eau qui étend ses tentacules vers les terres dans toutes les directions.
Bougie il y a 10 ans était un gros bourg mal défini qui se limitait à un centre ville cossu et à une banlieue crasseuse...

Mais la ville est gigantesque maintenant.

Toutes les voitures ou presque sont récentes, la jeunesse des beaux quartiers rivalisant dans l'achat des derniers modéles, la Mégane et la 607 emportent tous les suffrages .
Les stations balnéaires comme CapriTour donne au camping du 15ème de mon enfance un air de Cote d'Azur, les hotels de luxe s'ouvrent par dizaines et Béjaia a quintuplé de volume.
L'ancien centre ville est appelé vieille ville par les nouveaux arrivants .
La nuit, les bars et les salons de thé sont bondés.
Les étudiants eux préferent les cybercafés.
Les algériens commencent à s'équiper en tout :un ordinateur chez soi et surfe quand la connexion téléphonique n'est pas trop lente, tout le monde s'envoit des sms avec les mobiles de l'opérateur Djezzy GSM et de ses concurrents.
Les DVD ne sont pas encore répandus mais chaque bougiote connait les divx ou les vidéo cd, les films sont copiés à partir d'internet par liaison satellite et vendus sur cd.
Les mélomanes paient une centaine de dinars (1 à 2 euros) le cd, j'en ai ramené quelques uns en France et à part ceux de Guerouabi la qualité sonore des autres est vraiment médiocre, dommage.
Béjaia n'est pas encore vraiment surpeuplée parce que les gens ne se concentrent pas vraiment sur le bourg mais c'est la ville qui s'adapte au flot des arrivants, elle s'étale petit à petit.
Et puis quelquesoit l'endroit où nous nous rendons mon père et moi, quelqu'un surgit toujours pour le saluer,à mon grand étonnement d'abord puis au sien, lui même ne se souvenant pas toujours de ces gens qui l'interpellent directement par son prénom .

La ville a tellement changé d'ailleurs, que souvent nous nous sommes perdus dans ses rues, l'occasion unique pour mon père de jouer au touriste dans sa ville natale.